Eco-système urbain


....... Entrée proposée par Jérémie Cavé, sciences de la durabilité
Je trouve l'expression "écosystème urbain" assez galvaudée. On parle d'écosystème à toutes les sauces actuellement (ex: dans le monde de l'entreprise, de l'innovation...), ça fait chic. Mais la référence à la définition scientifique d'un écosystème est très superficielle. Cela mériterait d'être approfondi (ou abandonné !), au risque d'aboutir à une expression certes séduisante, mais creuse. Voire à une oxymore comme "écologie industrielle" (qui désigne des implantations industrielles... prétendument écosystémiques, alors que tout ce qu'elles proposent, c'est de reboucler quelques flux).

....... Entrée proposée par Sébastien Barot , écologue
En écologie un écosystème est l'ensemble constitué par tous les organismes vivant localement en interaction et par leur environnement physico-chimique. En ville, on peut appeler écosytèmes à la fois les petits écosystèmes inclus dans la ville (parc, rivière, toiture végétalisée, jardinière) et l'écosystème urbain en entier constitué par l'ensemble de ces organismes inclus dans une matrice de bâtiments, de rues ... des organismes (comme les oiseaux) habitant l'ensemble de la zone urbaine.

........Entrée proposée par Stéphanie Dos Santos, socio-démographe
En démographie, on ne parle pas d’écosystème. C’est en travaillant avec les sciences de la vie que j’ai commencé à m’approcher de ce terme. Je l’entends aujourd’hui au sens étymologique du terme, formé du grec oikos (maison), et systema (ensemble de plusieurs éléments qui interagissent). Dans mon entendement, je parle donc d’écosystème urbain au sens large, c’est-à-dire tout ce qui fait système urbain : le vivant végétal et animal (y compris les humains donc), le physique et le sociétal (social, sanitaire, économique, politique, culturel, artistique, etc…). En le détachant ainsi de sa discipline scientifique originelle (mot fondé par un biologiste), cela me parait donc redondant de parler de "socio-écosystème urbain" comme on peut le lire par ailleurs dans la littérature scientifique, le "socio" étant déjà compris dans le concept "écosystème" selon moi. C'est donc pour moi l'ensemble des éléments qui interagissent mutuellement au sein d'une même ville, d'un même quartier, d'un même habitat...bref, d'un même ensemble (système)

........Entrée proposée par Romain Gaté, économiste
L'écosystème urbain, c'est l'ensemble des acteurs économiques (entreprises, ménages, pouvoirs publics) interagissant au sein de chaque marché (immobilier, travail, etc.) et vivant au sein d'une zone urbaine (au sens de l'INSEE, une commune centre et toutes celles qui hébergent au moins 40% de travailleur-euse-s se rendant dans le centre et les communes attenantes).

........Entrée proposée par Darysleida Sosa Valdez, Architecte-Urbaniste
L´écosystème urbain tel qu'il est défini ici par Sébastien Barot et Stéphanie Dos Santos, doit (ou devrait) servir à repenser les actions sur l´urbain en prenant compte, non seulement des besoins humains (logement, mobilité, etc.), mais aussi des besoins d'autres espèces qui ​interagissent dans ces espaces urbanisées. Ainsi, comprendre le fonctionnement, les modes de régénération et les formes d'adaptation des écosystèmes devrait servir à orienter les actions et les politiques en termes d'aménagement urbain.

Texte d'introduction au Webinaire du 18 janvier 2023



Sébastien, écologue, nous parle des oiseaux. Des oiseaux, je cite, habitant comme d’autres organismes en zone urbaine. Tout écosystème serait ces interrelations entre organismes vivants et non vivant et un biotope, des éléments physico-chimiques qui nous entourent dans un espace géographique donné.

Jérôme depuis son regard en biologie forestière nous parlait à l’École de Tunis des arbres, de leurs ressources génétiques, comment ils prennent vie en ville, et de leurs interrelations avec nous, humains, et nos pratiques de gestion.

Jean-François, physicien de l’atmosphère nous rendait aussi visibles les particules de l’atmosphère et leur circulation en ville.

Penser les écosystèmes en ville. Il y a là une première difficulté à déplacer le regard vers des interrelations plus discrètes en considérant le non humain, les végétaux et les animaux. Revenons aux oiseaux. Dans son livre Habiter en oiseau, la philosophe Vinciane Despret pousse à interpréter cette complexité du monde, à nous rendre plus sensibles aux autres vivants qui nous entourent. Ces organismes ont leurs propres manières d’être. Le chant du merle nous dit-elle est à chaque fois une petite invention. Les oiseaux tracent avec leur chant leur territoire, leur voisinage en ville, font du bluff se jouent des frontières. Les animaux marquent et se marquent dans le territoire, avec leur propre façon d’exploiter l’espace et ses ressources. Et ils créent des complémentarités, des interdépendances.

On a là une première marche dans notre discussion sur les écosystèmes, celle des interrelations dans des espaces géographiques donnés, du vivant, du non vivant, et du biotope.

Mais c’est pas si simple : comment expliquer, ou plutôt comme nous pousse à le faire Vinciane Despret, interpréter le non humain en interaction avec l’humain dans des territoires urbains.

Et allons un peu plus loin, ces territoires ou espaces géographiques posent eux aussi question dans la confrontation de nos approches disciplinaires.

Partir des écosystèmes à l’échelle d’un arbre, d’une jardinière ou d’un parc et remonter, je cite ici Stéphanie, socio-démographe, à une même ville. On isolerait alors pour les besoins d’analyse de multiples écosystèmes dans un écosystème plus étendu, la ville.

Et là aussi, renvoyer à un « système », peut résonner faire référence à un ensemble de rouages, un ensemble cohérent, une entité statique, fermée. Or l’urbain c’est bien un système ouvert, avec des flux permanents soumis à des événements, avec des déséquilibres qui doivent être maîtrisés comme nous le rappelait Cécile, sismologue.

Alors, on serait face à des écosystèmes urbains dont les formes spatiales, les mouvements, les interdépendances sont complexes.

Mais sur le wiki de la CoSav on ne s’est pas arrêté là.

Stéphanie cite également les structures politiques, sociales, les ensembles de normes, et le physique, ces bâtiments, infrastructures constitutifs eux aussi d’un écosystème urbain.

Et, Romain, économiste, nous parle lui d’acteurs économiques au sein de « marchés », sans mention des autres organismes vivants. Les marchés se sont aussi des structures sociales, économiques, des normes négociées qui sous le regard de Romain constituent des écosystèmes dans une, je cite, « zone urbaine ».

Montons donc sur une deuxième marche pour peut-être préciser ces formes spatiales dons lesquels des acteurs pour certains et des organismes vivants, non vivant, le biotope interagissent.

Selon nos approches, on se déplace différemment dans l’urbain. L’enjeu serait peut-être de faire lien entre ces interactions dans un territoire donné, parfois à une échelle micro locale et d’autres échelles spatiales, peut-être de dézoomer, d’articuler ces différents éco-systèmes dans un environnement particulier.

Le dictionnaire critique de l’anthropocène édité par le CNRS rappelle d’ailleurs les fréquentes critiques adressées à la notion d’écosystème. Je cite, « un écosystème n’est pas cartographiable, le concept resterait trop limité car il n’a pas de dimension spatiale historique ou dynamique ».

Alors, ok. Sortons de la ville et rendons-nous dans les forêts, et pas n’importe quelles forêts, les forêts de l’État de l’Oregon aux États-Unis que nous fait parcourir l’anthropologue Anna Tsing. Anna Tsing nous parle du Matsutake, ce champignon qui grandit là où les arbres ont été brûlés après des années d’exploitation acharnée du bois. Ce champignon aide les arbres à pousser en permettant à leurs racines de s’enchevêtrer dans la terre. Ce champignon en fait nourrit d’autres espèces. Il relie les racines des arbres, et les rhizomes, les tiges souterraines de nombreuses plantes. Mais Anna Tsing nous parle aussi de la cueillette de ces champignons par des population précaires, du conditionnement de ces champignons dans d’autres lieux, de leur espace de consommation, le plus souvent à l’autre bout du monde, des forêts de l’Oregon aux tables du Japon.




À l’image de ce champignon, le matsutake, Anna Tsing nous pousse à regarder les lieux de rencontre, les liens et les connexions. Le champignon Matsutake participe à l’écosystème très singulier de ces forêts, un écosystème très cohérent. Sans ce champignon, il n’y aurait plus de vie dans ces forêts, plus d’arbres, de plantes ou de cueilleurs. Mais on est dans un système ouvert, dynamique. Les espaces écologiques de ces forêts, ces milieux de vie, subissent des influences lointaines, des investissements à l’autre bout du monde décident du sort écologique de lieux très reculés. Ces systèmes s’articulent par différentes forces, ici les branches du capitalisme et ses chaînes de valeur, ses flux de marchandises et captation de la valeur.

Anna Tsing montre la difficulté dans notre monde d’isoler ces écosystèmes à la fois comme construit théorique, besoin pour l’analyse et comme entité autonome, indépendante avec ces éléments qui interagissent entre eux, ces flux entrants.

Mais attendez. Jérémie, qui travaille dans les sciences de la durabilité nous le rappelle, la notion d’écosystème est aujourd’hui galvaudée. L’écosystème start up. L’écosystème Lafarge. L’écosystème Paris Cité. Ou encore hier dans la presse : l’écosystème services de BNP Paribas.

Stéphanie nous emmène alors à cette racine « oikos », de la notion d’écosystème qui signifie maison en grec. On veut faire assemblée, maison. Appartenir à la start-up nation, la même maison, c’est faire partie de cet écosystème.

Alors rendons, comme nous pousse Darys, architecte-urbaniste, son sens politique aux écosystèmes urbains. Je cite : « comprendre le fonctionnement, les modes de régénération et les formes d’adaptation des écosystèmes devrait servir à orienter les actions et les politiques en termes d’aménagement urbain. »

Bouclons la boucle. Au sein de la CoSav Villes Durables, nous rapprochons sciences de la nature, sciences sociales, nos différentes échelles d’analyse, de l’arbre, des oiseaux, des particules en mouvement de l’atmosphère, des flux de matière, des structurations de marché, de l’urbain dense, à celui qui se dessine. Du vivant, non-vivant, biotope qui entrent en interaction dans un espace donné, dans des territoires urbanisés ou en cours d’urbanisation dont nous définissons l’échelle dans nos cadres d’analyse. Ces interactions se structurent, évoluent selon des intérêts, des logiques économiques, des temporalités, des interdépendances, des manières d’interpréter le monde, le vivant, et le non vivant.

Rappelons-nous le chant du merle, qui marque par le son l’étendue de son territoire et le champignon matsutake, qui enchevêtre, relie. Ils demandent notre attention politique, notre co-responsabilité.

Mots clés discutés pendant la séance :


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