Thématiques prioritaires de la CoSav Villes Durables

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@IRD - Jean-Michel Boré
Pollution atmosphérique, Hanoï, Vietnam
La Communauté de Savoirs (CoSav) sur les Villes Durables s’est ainsi engagée depuis quatre ans à promouvoir les recherches aux Suds qui interrogent la fabrique de villes plus durables, plus égalitaires, plus justes, plus sûres, plus saines, plus inclusives, plus désirables en analysant les socio-écosystèmes urbains dans leur complexité et en tenant compte de la diversité des situations dans les Suds. Après avoir travaillé sur le concept de durabilité, au travers des modalités de la durabilité, comme l’inclusion et la participation, une nouvelle entrée transversale émerge aujourd’hui qui doit permettre de structurer les différents travaux à venir : l'habitabilité des villes. Ainsi, en plus d’être un peu moins 'techno-scientist', voire moins anthropo-centrée (occidentalo-centré) que le concept de durabilité (notamment du fait du contexte historique et culturel de son émergence), la notion d’habitabilité d’une ville a cette particularité de n’être revendiquée par aucune discipline, ce qui tend à faciliter les travaux interdisciplinaires. En outre, la notion d’habitabilité invite davantage à accueillir et à interroger les multiples dimensions qui peuvent la définir, la diversité de ses représentations (modes d’habiter par exemple) ou la pluralité symbolique de ses désirabilités. Loin d’une approche normative (et du concept de développement durable), la notion d’habitabilité permet d’envisager des possibles pluralistes, au cœur de toute démarche collaborative (partages sincères, écoute transformatrice), fondements même de l’ambition du projet Vivaldis que la CoSav va déployer au cours de la période 2025-2027, au travers de trois écoles “4 saisons”, mettant particulièrement la priorité sur la prise en compte des savoirs locaux.
La notion d’habitabilité invite enfin à davantage se concentrer sur le “comment” que sur le “pourquoi”. Ce type d’interrogation est pertinent dans le cadre de villes anciennes qui voient leur croissance dépasser les vieux centres, comme la ville de Yogyakarta en Indonésie. Les villes anciennes furent édifiées selon leurs principes propres, contextuels, qui ne se réfèrent pas nécessairement aux normes des sociétés modernes. Bien que ces villes anciennes ne soient pas efficaces pour gérer la mobilité contemporaine, elles garantissent néanmoins, de par leurs principes mêmes, la qualité de vie de leurs habitants (cf. la forêt sacrée d’Aneho au Togo, terrain partagé de l’école “4 saisons” 2023). Malgré les transformations engendrées par la modernisation, les citadins expriment parfois le besoin de continuer de vivre en accord avec les principes des espaces urbains anciens. Cela signifie qu'il y aurait deux logiques spatiales urbaines coexistantes voire parfois antagonistes : la ville ancienne, et la ville moderne en tant qu'expression visuelle de l'urbanisme orienté vers le développement. Ainsi, la notion d’habitabilité peut être un moyen pour renouveler les cadres de production des savoirs sur les villes des Suds, à l’interface entre science et société, entre tradition et modernité.
Ainsi, pour la période 2025-2027, il s’agit de situer l'habitabilité depuis les villes des Suds. L’habitabilité peut être vue comme le produit de composantes physiques, naturelles, matérielles mais aussi esthétiques et symboliques qui influencent la « qualité de vie » (Delabarre, Marry, 2012). Le concept d'habitabilité est ici mobilisé pour analyser « les capacités des populations à se créer des milieux de vie dans des situations de contrainte croissante » (Blanc et al, 2021, p.18). L’habitabilité, entendue comme un objet conceptuel qui engage de multiples disciplines, peut être un moyen pour renouveler les cadres de production des savoirs à l’interface entre science et société. Notamment, la notion d’habitabilité permet un meilleur ancrage des réflexions dans les territoires, invitant davantage à penser et interroger les contextes spécifiques de sa production, à des échelles temporelles définies elles aussi localement.
Afin de nourrir ces réflexions, et après avoir travaillé sur deux thématiques prioritaires relativement larges (cf. feuille de route 2022-2024), les réflexions de la CoSav Villes Durables sur la période 2025-2027 sont orientées autour de 3 thématiques scientifiques spécifiques.

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@IRD - SDS
Comme un arbre dans la ville, Lomé, Togo
Thématique "Nature en Ville"
La thématique "Nature en Ville" traite de la biodiversité en ville (les espaces verts, la végétation et toute la biodiversité qu'elle peut renfermer (des mammifères aux insectes en passant par les microorganismes pathogènes ou non) dans toutes ses composantes spatiales (différents types d'habitats). Le concept de nature en ville alimente les débats scientifiques autour de l'habitabilité des territoires urbains. Les réflexions autour de la nature en ville vont au-delà d'une approche strictement normative qui considère le monde comme un simple ensemble de ressources à exploiter et à organiser en fonction des seuls besoins humains. Une vision anthropocentrique est au contraire développée en cherchant à concevoir un cadre plus inclusif pour repenser les interactions entre les humains et leur environnement et en interrogeant par-là l’habitabilité au sens large, des villes des Suds. Cette thématique implique notamment des recherches autour de la végétation et des espaces verts en ville et de toutes les formes de biodiversité qui y sont associées. Il est notamment porté par le groupe de travail (GT) « Nature en Ville », avec un projet en cours d'élaboration et de nombreuses collaborations issues de l'école thématique « 4 saisons » de 2023 de Lomé.
La place, la contribution, les opportunités mais aussi les contraintes de la nature en ville sont interrogées selon une approche transdisciplinaire au travers du regard des différents acteurs de la ville, c’est-à-dire des décideurs politiques aux différentes catégories socio-économiques de citoyen.ne.s. Cette approche s’inscrit particulièrement, mais non exclusivement, dans des collaborations naissantes au sud du Togo et au sud du Bénin, en lien étroit avec des communes côtières engagées dans la végétalisation de leurs espaces urbains et semi-urbains (Aneho au Togo, Grand Popo au Bénin). Cette approche s’oriente par ailleurs vers une réflexion commune autour des patrimoines matériel et immatériel (patrimoines bio-culturels que représentent la biodiversité locale, connaissances et usages qui y sont associés), et du rôle des citadins et des pouvoirs publics dans la gestion durable et la conservation de ces patrimoines. Enfin, cette thématique est en lien étroit avec la thématique numéro 2 présentée ci-après, interrogeant la santé environnementale. En effet, la CoSav Villes Durables interroge la végétalisation comme un véritable enjeu de santé publique et ce, dans une double perspective : dans quelles mesures la végétalisation est un outil de santé urbaine aux Suds (santé mentale et physique, lutte contre les ilots de chaleur, réduction de la pollution atmosphérique, etc.), et à l’inverse, dans quelles conditions la végétalisation favorise certains risques sanitaires (écosystèmes favorisant le développement d’espèces indésirables, vecteurs d’agents infectieux à fort potentiel épidémique).

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@IRD - Jean-Michel Boré
Pollution atmosphérique, Hanoï, Vietnam
Thématique "Santé et Environnement"
Les villes sont des espaces de forte concentration de facteurs environnementaux de la santé des populations. Il s'agit de s'interroger sur les facteurs environnementaux impactant la vie en bonne santé dans les villes aux Suds dans un contexte de développement urbain intense et d'une grande diversité dans l'intensité de ces facteurs, parfois connue, souvent sous-estimée. La santé en zone urbaine dépend étroitement de la qualité de l’environnement. Une urbanisation planifiée et durable peut améliorer la qualité de vie, réduire les inégalités et préserver la santé de ses habitant.e.s tout en minimisant les impacts environnementaux. Enfin, l'impact du changement climatique est de plus en plus visible et impactent fortement les villes, affectant directement la santé de leur population. Une attention particulière à l'atténuation et à l'adaptation des actions sanitaires dans les villes aux événements climatiques extrêmes sera également l'un des principes directeurs alignés directement sur la 3e thématique, présenté ci-après.
Cette deuxième thématique s'inscrit dans la continuité des avancées obtenues dans le cadre de deux groupes de travail (GT) de la précédente feuille de route, le GT Santé-Environnement dans les Villes d’Afrique et de Madagascar et le GT "PollutionS et, qui porte particulièrement sur les pollutions de l’air, de l’eau, et des sols. Ainsi, travailler sur la santé urbaine environnementale requérant des compétences interdisciplinaires, un des objectifs de la période 2025-2027 est d'aller plus loin dans la pratique de l'interdisciplinarité en allant chercher les compétences et expertises scientifiques au sein d'autres communautés de recherche, et notamment en développant un dialogue inter-CoSav sur la santé environnementale ("CoSav One Health) ou encore l'impact des "mines urbaines" (CoSav GeoRessources).
La thématique « santé –environnement » de la nouvelle feuille de route de la CoSav s'inscrit pleinement dans la stratégie de régionalisation de l'IRD, notamment de la feuille de route « Afrique » et son chantier "Villes durables, ressources, pollutions, santé" identifié pour la région Afrique de l'Ouest et centrale. Parallèlement, durant la période 2025-2027, il s'agit également d'impliquer une communauté plus large, notamment en ouvrant les recherches, jusqu'ici centrées sur le continent africain, à d'autres espaces géographiques, en Amérique du Sud et en Asie.

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@IRD - Luc Séguis
Abobo, Abidjan, Côte d'Ivoire
Thématique "Crises, catastrophes urbaines et Incertitudes"
La thématique "Crises, catastrophes urbaines et Incertitudes" s'ancre dans un travail mené dès les prémices de la CoSav avec le colloque "Crises en ville" (IRD - AFD) organisé en 2019. Cette thématique a ensuite été renforcée lors des écoles thématiques « 4 saisons » de Tunis (2022) et de Lomé (2023), qui ont toutes deux abordées les risques à la fois à partir des aléas (inondations, pollutions), des enjeux potentiellement affectés et des vulnérabilités. Différents webinaires « CoSavez-vous ? » ont réuni de nombreuses contributions sur la pollution de l'air, les inondations, la gestion de crise, faisant écho aux différentes recherches menées par les chercheur.e.s membres de la CoSav. Ces dernier.e.s ont cherché à identifier les dangers et les vulnérabilités liés au changement climatique, aux crises environnementales et/ou aux inégalités économiques et sociales, en fonction des spécificités géographiques, économiques et culturelles, à prêter attention aux stratégies d'adaptation individuelles et collectives ainsi qu'aux enjeux de justice environnementale, climatique et sociale.
1. Temporalités bouleversées et télescopage des échelles
La question des échelles est au centre des recherches sur les risques. Il s’agit d’analyser particulièrement la manière dont ces échelles s’intersectent et se bouleversent dans des moments de basculement ou de tensions, ainsi que leurs relations avec des fonctionnements considérés comme stables ou routiniers qui préexistent et suivent la crise, voire qui s’installent “dans” la crise. Dans ces temporalités, la notion d'urgence qui ponctue les discours et l'action publique est à interroger. A partir de notions comme celle des slow disasters et de combinatory disasters, il s’agit de penser ensemble des catastrophes qui prennent la forme d'événements, et d’autres qui s'étalent sur le temps long comme les pollutions, ou qui sont fréquentent voire cycliques (cf. les inondations à répétition), et n’en finissent pas de produire leurs effets, aussi bien en termes de gouvernance et de justice que d'impacts physiques et sociaux. La CoSav se propose, à partir des recherches portées sur ce thème par ses membres, de réintroduire de la complexité scalaire pour lutter contre les représentations réductionnistes, monocausales et donc faussée des changements globaux et locaux en ville.
2. Savoirs face aux incertitudes et incertitudes des savoirs
Cette sous-thématique interroge directement la question des savoirs sous deux angles. Le premier investigue les savoirs (scientifiques, informels, locaux, expérienciels) qui sont mobilisés (ou pas) en situation de très forte incertitude (voire de sidération) tant lors d'évènements soudains de rupture qu'en situation d'anticipation de catastrophes/crises potentielles ou d'émergence de nouvelles menaces et de nouveaux risques, quand il faut appliquer le principe de précaution et mettre en place des dispositifs de prévention, de protection, de préparation alors qu'une connaissance formelle n'est pas encore établie ou connue. La question est alors d'analyser comment ces savoirs multiples jouent (ou pas) sur la gouvernance urbaine en situation d'urgence et de crise ainsi qu'en temps "normal". Le second angle vise à s'intéresser à l’incertitude dans les savoirs scientifiques à l'heure du changement global. Cela implique une démarche réflexive qui intéresse directement les recherches menées au sein de la CoSav, telles qu’elles sont pratiquées par ses membres. Que ce soit dans des modèles prédictifs, dans des pratiques d’enquête, dans des actions de médiation et de sensibilisation vers la société sur ce qui pourrait advenir, il s’agit de comprendre le rôle de ce type de recherche dans la construction sociale et locale du risque et d'examiner comment les savoirs sont partiels et attachés à un contexte spécifique, comment ils s'articulent avec d’autres types de savoirs mobilisés pendant les ou en anticipation des crises. Cela induit un questionnement sur la portée de ces savoirs et sur la position du chercheur·e, parfois étranger au pays étudié, dans un contexte souvent associé à une précarité des conditions de vie et à des attentes fortes sur les résultats. A travers cette sous-thématique, l’objectif est que la CoSav propose des orientations aux pratiques de recherche.
3. Des villes côtières en crise ?
Suite à l'importante mobilisation précédent le sommet de l'UNOC de Nice 2025 ou de l’Ecole des ODD 2025, cette sous-thématique porte principalement sur les enjeux propres aux villes côtières et sur les risques sociaux et "naturels" auxquelles elles font face (inondations, submersions etc.), liés à leur position d'interface avec la mer ou l'océan, aux activités économiques spécifiques qui s'y déploient, et à leur position, souvent héritée de la colonisation, dans les circulations et échanges nationaux et internationaux. Cette sous-thématique s'appuie sur les nombreuses recherches portées par les membres de la CoSav sur ces terrains et dans une dynamique interdisciplinaire, et vise à les valoriser. Il s’agit également de renforcer le travail en synergie avec la CoSav Littoral et Océan sur cette sous-thématique.